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INTERVIEW - Emmanuel Lepage, dessinateur, auteur de la BD « Cache-cache bâton » (éditions Futuropolis)

« Il y avait là-bas un formidable sentiment de création, d’invention » 

Auteur de bandes dessinées tournées vers les grands espaces et l’océan, Emmanuel Lepage, 56 ans, a publié fin 2022 un récit en images très personnel, autour de son enfance dans un habitat communautaire près de Rennes, l’un des premiers de France. À l’heure où l’habitat participatif revient dans l’actualité, il partage ici souvenirs et convictions.

Que dit de vous cet album ?

Emmanuel Lepage - C’est mon livre le plus personnel, qui donne la clé de tous les autres. Je le portais depuis 30 ans sans bien savoir comment j’allais l’organiser. À l’origine, je pensais raconter l’histoire du point de vue de l’enfant que j’étais. Les récits d’habitat communautaire étaient jusqu’ici plutôt racontés par leurs initiateurs adultes que par les jeunes qui y ont vécu.Pour nous, enfants, nous avions un rapport au monde différent, qui nous semblait seulement être « le » monde. Nous avions conscience d’être parfois regardé bizarrement. « Ha, tu es de là-bas  ! », m’avait dit mon instituteur.


Quels souvenirs conservez-vous de cette époque  ?

Emmanuel Lepage - J’ai grandi au Gille Pesset, cet habitat communautaire que mes parents avaient contribué à créer, avec six autres familles, à Betton en 1971. J’y ai vécu entre 5 et 9 ans. C’est la clé de mon parcours, mon désir de faire de la BD vient de là. Il y avait là-bas un formidable sentiment de création, d’invention. On sentait que les adultes ne subissaient pas la vie mais qu’ils créaient quelque chose de différent. Cela nous incitait à créer nous-mêmes.Déjà, enfant, à cette époque, j’entraînais les autres dans l’imaginaire. Je n’étais ni le plus beau, ni le plus baraqué, ni le plus intelligent, mais j’avais la capacité d’embarquer les autres dans mes histoires ! Nous étions autorisés à penser autrement, librement. Ce goût de l’infini, c’est dans la BD que je le retrouve aujourd’hui.

Quels retours vous font les lecteurs de Cache-Cache bâton  ?

Emmanuel Lepage - La BD n’a pas rencontré pour l’instant le succès commercial de certains de mes autres ouvrages. Mais j’espère que c’est un livre qui va se vendre sur la durée, au-delà des lecteurs de bandes dessinées, qui ont d’ailleurs pu être surpris par ce sujet.C’est une BD de proximité. Lors des séances de dédicaces ou des rencontres autour du livre, des gens viennent spontanément me parler d’eux, de leur propre enfance. Ce sont des échanges très touchants. Certains sont des protagonistes directs de cette époque, ils se reconnaissent dans cette histoire. Mais il y a aussi des jeunes, de 25-30 ans, qui recherchent d’autres façons de vivre ensemble, et qui s’intéressent à ce type d’habitat partagé. Je crée des liens entre ces univers. Je rencontre beaucoup de personnes qui font des choses concrètes, qui expérimentent.

Pensez-vous que l’époque est de nouveau propice à ce type d’idéal communautaire  ?

Emmanuel Lepage - Je suis rentré en janvier des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), où j’ai rencontré de jeunes scientifiques très sensibles aux enjeux climatiques et environnementaux. Ils n’envisagent clairement pas la vie en habitat individuel ! Ils sont en recherche. Ils ont une conscience et une capacité d’habiter autrement. L’habitat partagé revient souvent dans les conversations, avec les thématiques du circuit court, du local, de la limitation des ressources…

Et vous, personnellement cela vous attire toujours  ?

Emmanuel Lepage - C’est quelque chose qui m’attire profondément. Mais j’ai un métier solitaire et sédentaire, ponctué de longs déplacements. J’ai besoin d’être seul pour créer. La sortie du livre a aussi libéré la parole chez mes parents et leurs amis. C’est comme si, pour eux, quelque chose se remettait en route. Les mots qui n’avaient jamais été prononcés soudain apparaissaient au grand jour. Cela a suscité de nouvelles discussions entre les anciens participants à cette aventure.

Pourquoi, enfin, ce titre, assez énigmatique  : cache-cache bâton  ?

Emmanuel Lepage - C’était notre jeu, celui de toutes les générations qui se sont succédé dans ce lieu. En 2014, lors des obsèques de l’un des fondateurs du Gille Pesset, nous avons décidé de nous retrouver tous. Et évidemment, nous avons organisé une immense partie de cache-cache bâton  ! Ce livre est aussi né de ce moment fort, comme la nécessité de transmettre une histoire et d’en parler avant que les acteurs n’aient tous disparu.

Propos recueillis par Xavier Debontride

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