« La réponse à la densité, c’est l’originalité de l’aménagement urbain »
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Comment loger de nouveaux habitants tout en évitant l’étalement urbain ? C’est tout l’enjeu de la densité pour favoriser la sobriété foncière. Une manière de construire et d’aménager radicalement différente, qui doit tenir compte des aspirations des populations. L’architecte urbaniste rennaise Laurence Croslard, dirigeante de l’agence Sitadiñ et de Soñj Architecture, partage ici ses convictions et ses espoirs.
En matière d’urbanisme, la question de la densité fait débat. Elle se nourrit d’aspirations contradictoires. D’un côté, la prise en compte des enjeux écologiques place la préservation des terres agricoles au premier rang des priorités. C’est le sens des initiatives en faveur de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) fixé par l’Etat à l’horizon 2050, pour encourager à la reconstruction de la ville sur elle-même et lutter contre l’étalement urbain. De l’autre, la réduction de la taille des parcelles, les constructions en hauteur bouleversent les physionomies urbaines, non sans créer quelques résistances chez les habitants bousculés dans leurs habitudes.
Pour éclairer ce sujet complexe, nous sommes allés à la rencontre de Laurence Croslard, architecte urbaniste à Rennes, qui dirige l’agence Soñj Architecture et l’agence d’urbanisme et de paysage Sitadiñ. Elle a collaboré à plusieurs projets avec Coop de Construction, et apprécie particulièrement le travail mené sur le projet Plaisance des Prairies Saint-Martin, « un lieu formidable pour des espaces publics partagés ».
Faire preuve d’imagination
« Par rapport à la question de la densité, il faut désormais travailler sur du raisonné/raisonnable », insiste Laurence Croslard. Elle rappelle que la complexité du sujet est alimentée par de nombreux facteurs liés aux modèles économiques, aux systèmes constructifs. Il y a de plus en plus et de normes à prendre en compte dans les projets d’aménagement.
« Avec le ZAN, on est dans une équation à multiples inconnues et l’architecte est à la tâche : il doit faire moins cher, plus dense, plus écologique. On y arrive, mais les coûts de construction ont augmenté de 30% en un an. On est passé de 1300 à 1700 euros le mètre carré », constate l’architecte, qui travaille notamment avec des opérateurs sociaux. « Dans ce contexte contraint, il faut être encore plus imaginatif ! », souligne-t-elle en riant.
« Prenez l’attachement à la maison individuelle. Il faut se poser la question du pourquoi ? »
Partir de l’envie des gens
Comment travaille-t-elle dans ces conditions ? « J’aime bien partir de l’envie des gens. Prenez l’attachement à la maison individuelle. Il faut se poser la question du pourquoi ? J’essaie de comprendre les aspirations liées à cette attente. Désormais, on a des parcelles de plus en plus petites, à partir de180-200 mètres carrés. On peut alors imaginer d’y implanter un « appartement-maison ». Avec un peu plus qu’un balcon, pour accueillir le barbecue, la table conviviale... », énumère Laurence Croslard. Cette nouvelle densité horizontale pose, en creux, la question du voisinage et de la promiscuité, qu’il s’agit de traiter avec finesse, en fonction de la topographie des lieux.
Prévoir des dispositifs d’intimité
De fait, les nouveaux lotissements n’ont plus grand-chose à voir avec leurs lointains devanciers des années 1970. Désormais, « on me met plus la maison au centre de la parcelle, pour économiser le foncier », rappelle l’architecte -urbaniste. Le nouveau Programme local de l’habitat (PLH) de Rennes Métropole en cours d’élaboration va d’ailleurs inciter les communes à passer de 20 à 35 logements à l’hectare. Est-ce que la maison individuelle aura encore sa place dans ce modèle ? « On peut y arriver avec des maisons sur 165 m2 de terrain, une profondeur de 9 -10 mètres. Mais pour que cela fonctionne, il faut prévoir des dispositifs d’intimité, dès la construction ou l’aménagement », répond Laurence Croslard, qui sait combien la question de l’acquisition d’un patrimoine immobilier représente un enjeu fort pour les couples et les familles.
« Je suis partie de l’urbanisme de l’ile d’Houat, avec ces venelles et ces petites maisons de pêcheurs agglomérées. »
Venelles et grappes de maisons
Avec Coop de Construction, elle a mené un projet original en 2018, le programme les Colombines à Saint-Erblon. « Je suis partie de l’urbanisme de l’ile d’Houat, avec ces venelles et ces petites maisons de pêcheurs agglomérées. Il y a un rapport fort à l’espace public partagé et à l’espace intime. De la rue, on voit peu ce qui se passe à l’intérieur. Nous avons imaginé des « grappes de maisons », autour de cours. À Saint-Erblon, au lieu de travailler sur la maison en bande, on a dessiné un jardin en étoile, en réhabilitant l’idée de la venelle piétonne », explique encore l’architecte, qui reconnait que cette démarche est adaptée aux espaces qui ne sont pas en continuité urbaine. Dès qu’on élimine la voiture de l’espace public, la rue peut être appropriée différemment. « La réponse à la densité, c’est l’originalité de l’aménagement urbain », résume Laurence Croslard, qui se passionne pour le travail sur les interstices, les « entre-deux ».
Remembrement urbain
« Après le remembrement rural, nous allons assister à un grand remembrement urbain pour recomposer la ville sur la ville, avec des intérêts partagés », assure-t-elle, citant en exemple le projet de regroupement de propriété lancé par la mairie de Guipel, au nord de Rennes. De ce point de vue, les outils évoluent, à la manière de l’AFU, l’association foncière urbaine, qui permet le regroupement de propriétaires fonciers facilitant l’aménagement et la valorisation de terrains. De quoi, demain, penser la ville autrement.