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Entretien avec Jean Viard, sociologue

« La question essentielle, c’est la densification du péri-urbain »

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J ViardSociologue attentif aux évolutions des modes de vie, Jean Viard s’intéresse aux conséquences de la pandémie sur nos organisations. Dans son dernier ouvrage « la révolution qu’on attendait est arrivée » (Editions de l’Aube), il consacre plusieurs pages à l’habitat. Nous lui avons demandé de partager son analyse. Entretien.

Qu’est-ce la crise sanitaire a changé en matière de logements ?

La crise n’est pas terminée et je suis prudent dans mon analyse. En fait, nous sommes tous dans la situation de quelqu’un qui souffre d’un cancer et à qui l’on apprendrait qu’il est guéri. On se demande alors  : « que vais-je faire de la vie qui me reste  ? » Nous sommes enfermés dans le présent et nous cherchons à en sortir. Je vois pour cela deux chemins. Tout d’abord, il y a la quête du proche, à la fois familial et géographique. On cherche à rapprocher son travail de son lieu de vie, on veut renouer avec sa famille, ses amis... Attention, ce n’est pas pour autant le retour du village d’autrefois  ! Il s’agit là d’un proche « art de vivre ». Le cœur de ce proche, c’est le tiers-lieu, cet espace multifonctions qui favorise les croisements.

Et l’autre chemin  ?

Il concerne les groupes sociaux qui se sont réorganisés à la faveur de la pandémie. En gros, on distingue aujourd’hui trois groupes principaux  : les gens du soin et du service, dont l’importance a été révélée par la crise et qui sont souvent ceux qui habitent le plus loin de leur lieu de travail, pour des raisons économiques. Ce sont aussi souvent ceux qui ont occupé les ronds-points lors de la crise des Gilets jaunes. Deuxième groupe social  : celui des ouvriers et des paysans, qui ont déjà depuis longtemps une culture de la proximité car ils vivent sur ou à côté de leur lieu de travail (l’usine, l’exploitation agricole…). Enfin, troisième groupe social qui émerge à la faveur de la crise Covid  : les gens du télétravail, qui ont d’abord été contraints à ne plus se rendre au bureau, mais qui voudraient bien pouvoir conserver partiellement un ou deux jours de télétravail par semaine car ils apprécient le mode de vie qui en découle. Ils n’étaient que 4% avant la crise, et 38% désormais  !



« Actuellement, le logement social est déterminé par les revenus et non par les activités »


Comment cette évolution impacte-t-elle l’habitat  ?

On voit bien que mon premier groupe aspire à vivre autrement, mais en France, actuellement, le logement social est déterminé par les revenus et non par les activités. Or c’est selon moi l’enjeu majeur du repeuplement des quartiers  : permettre à certains professionnels et à leur famille de vivre à proximité immédiate de leur activité. Il faut aussi prendre en compte la logique du regroupement familial. Mais en France, la famille n’est pas spatialisée dans les politiques publiques.

Avec quelles conséquences ?

Prenez le cas des femmes seules, souvent avec enfants, qui sont 1,8 million en France - près de 4 millions avec les enfants. Elles ont besoin de proximité avec des proches, de solidarité familiale et la question du logement est souvent cruciale pour elles. Cela est vrai aussi pour les personnes âgées. C’est un véritable enjeu de société et de territoire.

Avez-vous repéré des modèles à suivre en matière de logement  ?

Je cite souvent l’exemple de Rennes, qui avec son modèle de ville-archipel, a su préserver son tissu péri-urbain et mener une politique de logement social volontariste. À Marseille ou en région parisienne, la situation est évidemment différente. Mais il ne faut pas oublier que la France a été transformée par le béton après-guerre dans une quête effrénée de modernité. Aujourd’hui, la modernité est ailleurs, dans l’objet hyper technique, le numérique. Il nous faut désormais penser « à la japonaise »  : s’intéresser à ce que l’on va voir par la fenêtre de son logement  ! À Tokyo, tout est fait pour privilégier la vue sur le mont Fuji. Eh bien en France, il faut aussi se préoccuper de ce que le regard va embrasser depuis chez soi  ! Cela conditionne directement les formes urbaines.


« Je crois que la ville écologique de demain sera une ville étalée et dense »

Vous évoquez le péri-urbain, autour des grandes villes  : c’est l’enjeu majeur  ?

Tout à fait  ! la question essentielle, c’est la densification du péri-urbain. Il faut partir du désir des gens, qui rêvent tous d’une maison avec jardin, plutôt à côté de la grande ville dans une aire urbaine dynamique. Le modèle urbain de demain aura deux moteurs  : la métropole, là où la toile numérique croise les pouvoirs économiques, culturels et politiques, et la base agroforestière, nourricière et récréative. Il s’agira d’habiter entre les deux, en protégeant les terres arables. Comment densifier ce péri-urbain  ? Je crois que la ville écologique de demain sera une ville étalée et dense.

Il faudra construire différemment  ?

Sans doute. Déjà, la taille des parcelles se réduit, y compris dans les lotissements, dans un souci de sobriété foncière. Il faudra, demain, permettre aux propriétaires de grands terrains de les diviser plus facilement, pour pouvoir en tirer un loyer complémentaire, notamment au moment de la retraite. Près d’un futur retraité sur deux songe à changer de région, souvent pour revenir « au pays » ou dans son lieu de villégiature préféré. Pour la Bretagne, c’est un enjeu majeur. Comment développer une économie de la retraite et de la santé performante  ? Sans doute en anticipant ces afflux de population, avec une offre de logements et de services adaptés aux différents temps de la vie. Celle-ci est de plus en plus discontinue, mais cela n’est pas forcément une mauvaise nouvelle  !

Propos recueillis par Xavier Debontride, journaliste

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